BILAN DES EXPÉRIENCES PÉDAGOGIQUES DANS LE SECOND DEGRÉ SUR LA SCOLARISATION DES EIP

BILAN DES EXPÉRIENCES PÉDAGOGIQUES DANS LE
SECOND DEGRÉ SUR LA SCOLARISATION DES ÉLEVES
INTELLECTUELLEMENT PRÉCOCES
Rapport à monsieur le ministre de la jeunesse,
de l’éducation nationale et de la recherche
à monsieur le ministre délégué
à l’enseignement scolaire
Mai 2003
n° 2003-018
Rapporteurs : Christophe DUGRUELLE
Chargé d’une mission d’inspection générale
Philippe LE GUILLOU
Inspecteur général de l’éducation nationale
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SOMMAIRE
INTRODUCTION
1.ETAT DES LIEUX
1.1 Descriptif contextuel des cinq établissements visités.
1.2 La genèse des dispositifs d’accueil des E.I.P dans les
établissements.
1.3 Le rôle du chef d’établissement.
1.4 Les E.I.P et le contexte institutionnel.
1.5 Les relations avec les parents d’élèves.
1.6 Les structures pédagogiques.
1.7 Les équipes enseignantes.
2.DES PRECONISATIONS.
2.1 A l’échelon national.
2.2 A l’échelon académique et départemental.
2.3 A l’échelon de l’établissement.
2.4 A l’échelon des équipes pédagogiques.
EN GUISE DE POST-SCRIPTUM
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INTRODUCTION
L’enquête, qui s’inscrit à la suite du rapport de M. Jean-Pierre Delaubier sur la
scolarisation des élèves intellectuellement précoces, a été conduite dans cinq établissements
du 6 janvier au 19 mars 2003.
Il s’agissait de voir, concrètement, sur le terrain, comment sont mises en œuvre les modalités
d’accueil d’enfants intellectuellement précoces dans ces différents collèges.
Parmi les cinq établissements visités, trois sont implantés sur le territoire de l’académie
de Lyon, et même sur celui du département du Rhône : le collège Joliot-Curie, de Bron, situé
en ZEP et qui reçoit des enfants intellectuellement précoces depuis la rentrée de 1996 ; le
collège Maurice Scève, de Lyon, qui accueille depuis 1997, mais seulement en classes de 6ème
et de 5ème des élèves intellectuellement précoces en grande difficulté ; le collège privé sous
contrat Fénelon qui, après avoir formulé un projet d’accueil des élèves intellectuellement
précoces en 1995, les a accueillis à partir de la rentrée de 1997 et les scolarise de la 6ème à la
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ème. L’observation a également été menée au collège du Cèdre au Vésinet (département des
Yvelines, académie de Versailles) qui, le premier, au début des années 90 a ouvert des classes
– une par niveau – réservées aux élèves intellectuellement précoces, et au collège de la Hève à
Sainte-Adresse (département de la Seine-Maritime, académie de Rouen), où le dispositif a été
mis en place en 1996.
Dans cinq établissements, nous avons rencontré le chef d’établissement, le conseiller
d’éducation, le responsable du CDI, les équipes de professeurs engagées dans cette action. La
réflexion a été complétée et enrichie par l’observation de séances de cours dans des classes
scolarisant des élèves intellectuellement précoces – et dans des disciplines aussi variées que le
français, l’anglais, les mathématiques et les arts plastiques – et par des entretiens avec des
élèves parvenus au terme de leur cursus au collège, quelques mois avant la dispersion des
groupes qu’ils constituent souvent depuis la 6ème, et cette expérience nouvelle que sera leur
arrivée au lycée.
Tout au long de cette enquête, les conclusions du rapport de M. Jean-Pierre Delaubier
n’ont cessé de nourrir notre réflexion et nous tenons à dire que notre observation s’inscrit dans
la continuité directe de ce rapport qui s’achevait par neuf préconisations que nous aimerions
rappeler au seuil de ce compte rendu, parce qu’elles dessinent les voies d’un programme
cohérent et adapté :
– mieux connaître les élèves intellectuellement précoces
– prévenir les difficultés
– accueillir les familles et les accompagner tout au long de la scolarité
– apporter une réponse aux difficultés rencontrées dès l’école primaire
– adopter le rythme d’apprentissage aux besoins de chacun
– développer à l’école, comme au collège, les possibilités d’enrichissement des
parcours scolaires
– dans le second degré, accueillir les élèves à quotient intellectuellement élevé dans
des classes hétérogènes encadrées par des équipes pratiquant une pédagogie
innovante et différenciée
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– former des enseignants (vers une formation à la « diversité »)
– définir des stratégies globales de prise en charge des élèves manifestant des
aptitudes particulières
Il ne s’agissait pas pour nous de refaire un rapport dont les préconisations ont éclairé
notre approche, mais d’observer, d’analyser et d’évaluer les dispositifs mis en place dans les
cinq collèges, avec leurs particularités, leur histoire, la spécificité de leurs projets.
La genèse de ces dispositifs, le rôle qu’y a tenu le chef d’établissement, le contexte
institutionnel, ainsi que les relations avec les parents d’élèves, ont été l’objet d’une attention
particulière. De la même manière, l’observation des structures pédagogiques retenues, aussi
diverses soient-elles, et les constats et les choix des équipes enseignantes nous auront été d’un
secours précieux dès lors qu’il s’agissait, au terme de ce constat, de proposer un ensemble de
préconisations s’appuyant sur la variété et la richesse des situations rencontrées.
1 ETAT DES LIEUX
1.1 Descriptif contextuel des cinq établissements visités.
Les éléments proposés ci-dessous à la lecture sont là pour illustrer le contexte et le rendre le
plus compréhensible possible. Il ne s’agit pas d’égarer le lecteur dans un labyrinthe de chiffres,
de pourcentages ou de statistiques mais de faire apparaître les grandes lignes des
établissements visités.
Loin de nous l’envie ou le désir de décrire minutieusement et par le détail tous les aspects de
la vie quotidienne et des résultats scolaires de ces collèges.
Aller à l’essentiel pour comprendre les conditions objectives d’accueil des EIP, voila notre
objectif.
Cette démarche méthodologique s’impose d’autant plus à nous que nous avons pas eu à
constituer un échantillon mais à inspecter les seuls établissements existants.
– Collège de la Hève à Sainte-Adresse (Seine-Maritime) Académie de Rouen.
Collège de banlieue très résidentielle du Havre 550 élèves, 400 demi-pensionnaires
Le taux de réussite au brevet des collèges est satisfaisant.
Les évaluations à l’entrée en 6
ème sont : 74,5 % de réussite en français et 69 % en
mathématiques.
Les élèves issus majoritairement de milieux sociaux favorisés sont répartis en 21 divisions.
Les EIP sont an nombre de 43. Ce chiffre peut varier en cours d’année à quelques unités près :
15 en 6ème, 6 en 5ème, 12 en 4ème et 10 en 3ème. Ils ne sont, pas dans des classes homogènes,
mais regroupés tous ensemble dans une division environ à parité avec les autres élèves.
Les taux de passage toutes catégories confondues 6ème /5ème et 4ème /3ème sont supérieurs à la
moyenne académique, on observe la même tendance pour le passage en 2nde GT et à l’inverse
un plus faible résultat pour le passage dans la voie professionnelle.
41 professeurs d’une moyenne d’âge de 50/55 ans enseignent dans l’établissement depuis de
longues années. Leur stabilité est à noter.
Le principal qui doit quitter le collège l’année prochaine pour des raisons personnelles
d’évolution de carrière est en fonction depuis 1991. Les locaux d’une trentaine d’année sont
propres, bien entretenus et lumineux.
En somme, un collège sans problèmes et sans histoires.
– Collège du Cèdre au Vésinet (Yvelines) académie de Versailles.
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Collège de banlieue très résidentielle, soumis à la vive concurrence de nombreux
établissement privés dans la commune.
800 élèves dont 680 demi-pensionna ires sont répartis en 29 divisions, avec une forte majorité
d’enfants issus de milieux très favorisé, mais avec une proportion significative de familles
mono-parentales. Le taux de passage en seconde générale est de 82 %.
On recense 112 EIP répartis en classe homogènes.
62 enseignants en fonction depuis longtemps exercent leur métier. Ils sont décrits par la
principale comme motivés et mobilisés. Celle-ci est au Vésinet depuis 1996 et envisage d’y
finir sa carrière.
L’état des locaux ne suscite aucun commentaire . Le collège a vingt-deux ans.
Là aussi un collège sans problèmes et sans histoires.
– Collège Joliot-Curie à Bron (Rhône) académie de Lyon
Collège d’une banlieue populaire de l’agglomération lyonnaise situé en ZEP
Les 400 élèves forment une population scolaire défavorisée socialement, culturellement et
souvent en difficulté d’apprentissage.
Depuis la rentrée 1995, le corps enseignant a été très fortement renouvelé avec plus de la
moitié de nouveaux professeurs.
Le taux de réussite au brevet des collèges est de 58 %.
On recense 15 E.I.P recrutés dans un secteur de proximité.
Il est à noter que la principale était adjointe dans le même établissement et qu’elle a été
promue sur place pour des raisons personnelles tout à fait justifiées et totalement
indépendantes du projet E.I.P
Les locaux, même si des travaux importants sont programmés, semblent lumineux et
agréables. Le collège a bonne réputation auprès des autorités académiques. Il est à noter pour
la petite histoire qu’en 2001 lorsque le Ministre de l’éducation en déplacement dans
l’académie demanda à visiter un collège de ZEP «obtenant de bons résultats dans la lutte
contre l’échec scolaire » c’est Joliot-Curie qu’on lui proposa.
– Maurice Scève à Lyon (Rhône) académie de Lyon
Petite unité de 290 élèves. Collège de quartier de la Croix Rousse avec une véritable mixité
sociale et une bonne intégration de la population étrangère.
Les résultats scolaires se situent dans la moyenne académique, mais la principale pointe une
véritable « difficulté à faire travailler les élèves ». 27 professeurs dont 11 en service en service
partagé y exercent leur métier.
Le nombre d’ E.I.P est très faible : 9
Le collège n’accueille que des E.I.P en situation d’échec scolaire.
La principale exerce ses fonctions depuis la rentrée 2000.
Les locaux insérés dans un tissu urbain dense sont plutôt sombres et tristes.
– Collège privé sous contrat Fénelon (Rhône) académie de Lyon.
Il est à noter d’emblée l’impression chaleureuse et dynamique de l’ensemble des personnels
rencontrés. La sensation d’une équipe et d’un projet construit vous saute aux yeux dès votre
arrivée. 515 élèves issus majoritairement de milieux favorisés dans un établissement
appartenant au réseau des établissements jésuites de Lyon et St-Etienne.
72 élèves relèvent du projet E.I.P mais on nous a signalé d’autres élèves repérés «précoces
intellectuels » qui ne sont pas dans le dispositif spécifique.
En 6e
, 137 élèves 20 E.I.P (1 classe)
En 5e
, 129 élèves 20 EIP (1 classe)
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En 40e
, 129 élèves 19 E.I.P (répartis sur 2 classes), 1 dans une classe de 24, 18 dans une
classe de 27), en 3e
, 118 élèves 13 E.I.P (dans 1 classe de 27 élèves).
Il est à noter que 2 heures sont prises sur les moyens académiques pour un travail de
coordination et que des moyens propres pris sur le budget de l’établissement sont attribués au
dispositif d’accueil des E.I.P : salaires annuels 10520 € et honoraires psychologues 7400 €.
L’équipe pédagogique consacre une heure hebdomadaire à la concertation en récupérant 5 mn
par cours (les cours ne durent que 50 mn)
Pendant les six premières années le fonctionnement a eu lieu à moyen constant. Ce n’est que
depuis la rentrée 2002 que la décharge de 2 heures est effective.
52 enseignants exercent leur métier à Fénelon et on note un conseiller d’éducation par niveau.
En bref un établissement bien doté avec des personnels motivés dans un environnement
socio-économique favorisé.
1.2 La genèse des dispositifs d’accueil des E.I.P dans les
établissements.
Cinq établissements visités. Cinq histoires différentes. Seuls le hasard et la rencontre de
personnalités au caractère affirmé expliquent la naissance de ces «aventures » pédagogiques
et intellectuelles. Nous voudrions montrer que dans un premier temps ce sont bien des
logiques individuelles d’acteurs qui ont permis le démarrage et que l’institution s’est
contentée de suivre le mouvement initié ou au mieux a tenté de l’accompagner.
Jamais dans les entretiens que nous avons menés nous n’avons eu le sentiment que le
Ministère avait suscité ou engendré la réflexion première. Les conditions de lancement de ces
expériences ont fortement conditionné l’organisation ultérieure. Enthousiasme, pragma tisme
et militantisme résument l’état d’esprit qui règne dans les dispositifs d’établissement
scolarisant des E.I.P.
Relatons quelques faits en commençant par l’établissement pionnier, celui par lequel les
choses sont arrivées : le collège du Cèdre au Vésinet.
C’est à la rentrée scolaire 1990 qu’à l’initiative de la principale du collège Mme COTE,
aujourd’hui retraitée de l’éducation nationale mais toujours très active présidente de l’A.F.E.P
(association Française pour les Enfants Précoces) a été créée une classe d’approfondissement
en 6e
. Ce lancement a eu lieu après information et réflexion de l’ensemble de la communauté
éducative avec l’accord des professeurs et du Conseil d’Administration.
L’expérience de classes hétérogènes et d’une classe de 6e
de soutien – créée en 1984 pour
répondre aux besoins d’enfants en échec scolaire – avait amené la direction du collège à
réfléchir au cas d’élèves dont les capacités intellectuelles semblaient ne poser aucune
difficulté alors qu’ils étaient parfois en grande difficulté scolaire. Dans le même temps
d’autres élèves ne présentant pas de dysfonctionnements ne trouvaient pas dans une classe
hétérogène la stimulation et l’approfondissement dont ils auraient eu besoin. En les
regroupant , l’objectif annoncé était d’adopter la pédagogie à leur rythme spécifique, de
favoriser les échanges entre eux et de les sortir d’une forme d’isolement intellectuel.
Au départ de Mme COTTE en 1993, le nouveau principal a assuré la continuité de
l’expérience, et encouragé la réflexion pédagogique des enseignants et le dialogue avec l’
A.F.E.P.
Depuis 1996 le collège du Cèdre est piloté par Mme GUIOT qui, selon son propos, est venue
dans cet établissement plus pour le charme de la ville – « l’élément attractif c’est le Vésinet » –
que pour les E.I.P. Elle n’avait avant son arrivée aucune idée sur la question selon ses propres
termes.
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Elle est arrivée simplement « curieuse » et dit avoir été très vite convaincue par les
professeurs, interpellée par les caricatures faites du sujet, inquiète de la concurrence du privé
et soucieuse de l’aide à apporter aux élèves.
Il est à souligner que dans cet établissement depuis le lancement de l’accueil des E.I.P trois
principaux se sont succédé et que c’est l’équipe pédagogique qui a transmis le relais et a
accompli le travail de mémoire.
Le collège de la Hève à Sainte-Adresse.
Là aussi l’initiative est partie du chef d’établissement.
Daniel JACHET a pris la direction du collège en 1991.
Le point de départ c’est le refus des échecs scolaires incompréhensibles, bizarres paradoxaux,
c’est encore le regret des bulletins trimestriels avec ce triste commentaire final : « des
capacités gachées ».
C’est enfin le désarroi des équipes pédagogiques devant des cas d’élèves doués d’esprit vif,
qui durant leur scolarité au collège se trouve progressivement et inexorablement en situation
d’échec.
Mais c’est le cas particulier d’un élève en grave conflit avec des camarades et les adultes et la
participation à une conférence de l’ A.F.E.P organisée à l’université du Havre qui seront les
éléments déterminants.
En septembre 1995 «devant la répétition d’échecs d’enfants pourtant brillants » , le principal
avec certains professeurs motivés par le paradoxe de la précocité intellectuelle prend une
première initiative qui suscite l’hostilité du Conseil d’Administration. On le soupçonne de
vouloir créer une «classe d’élite ».
Il faudra au chef d’établissement et aux premiers enseignants mobilisés faire preuve de
patience et de pédagogie pour inscrire dans le projet de l’établissement l’accueil des E.I.P et
vaincre les réticences initiales.
Il semble que ces réticences soient motivées par deux raisons essentielles
– l’une de nature quasi-idéologique
on craint à tort ou à raison l’apparition de classes d’élites pour surdoués.
– l’autre de nature pédagogique
le degré d’exigence intellectuelle des E.I.P fait peur à des enseignants assis dans leur routine.
– Le collège Joliot-Curie à Bron.
Dans ce collège l’initiative première revient à un psychologue lyonnais spécialiste des
enfants dits intellectuellement précoces qui cherche désespérément en 1993 des
établissements scolaires pour accueillir les enfants suivis dans son cabinet privé.
Cette recherche désespérée a rencontré un intérêt chez un certain nombre d’enseignants
avides des méthodes d’analyse transactionnelle. Par ailleurs, le chef d’établissement était
intéressé par les travaux d’A. de la Garanderie. C’est dans ce contexte intellectuel que le
rectorat de Lyon a contacté le collège Joliot-Curie pour expérimenter un accueil d’ E.I.P.
Mais les choses n’allaient pas de soi.
Pour des raisons d’inquiétude et de prudence (le collège était classé plan violence), d’enjeux
de pouvoir interne, le conseil d’administration a refusé cet accueil pour la rentrée 1994.
En 1995, à la faveur d’un très important renouvellement de l’équipe enseignante- près de 50
% de nouveau professeurs- et d’une équipe de direction motivée et combative, le projet voit
finalement le jour. Il s’inscrit dans le cadre du projet d’établissement basé sur l’accueil de la
diversité et des différences sociales et culturelles.
L’actuelle principale était à l’époque adjointe et se trouve aujourd’hui dépositaire de cette
histoire. Elle indique qu’à Lyon la détermination de l’académie était manifeste et que c’est la
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rencontre de ces trois volontés -celle du psychologue, de la communauté éducative et de
l’institution- qui a autorisé la mise en place du dispositif E.I.P à Joliot-Curie.
Il va de soi, et nous développerons ce point, que l’intégration des E.I.P dans un collège de
Z.E.P donne une coloration spécifique à l’expérience.
– Le collège Maurice Scève à Lyon
Dès 1996 le collège Maurice Scève se voit sollicité pour l’ accueil d’ E.I.P en difficulté
scolaire.
Ce dernier point est à souligner. Même si dans les autres établissements visités le problème de
l’échec scolaire des E.I.P a pu motiver les premières réflexions, aucun ne revendique comme
Maurice Scève avec autant de force le fait de n’accueillir que des E.I.P en situation d’échec.
La principale parlera même à plusieurs reprises avec insistance de «très grandes difficultés
scolaires ». Le premier travail fut donc préalablement de faire accepter à l’ensemble de la
communauté scolaire l’idée de porter un autre regard sur ces élèves.
Là aussi, en 1996, le premier vote du conseil d’administration est défavorable. Il faudra
attendre l’année scolaire 1997-1998 pour que le projet naisse grâce notamment à la stratégie
volontariste de l’inspection académique du Rhône
L’actuelle principale est arriv’ée à Maurice Scève à la rentrée 2000 par le hasard du jeu des
mutations. Elle n’avait initialement aucune connaissance, ni a priori sur les E.I.P.
Sans aucun doute dans cet établissement, la décision d’accueillir des E.I.P n’est pas née
d’une volonté interne de la base enseignante, mais d’une volonté institutionnelle et du
contexte de l’agglomération lyonnaise où trois établissements fonctionnent en mini-réseau.
Il serait sans doute trop hâtif à ce stade de notre réflexion de faire un lien automatique et
mécanique entre l’histoire imposée de cette création et la médiocre efficience du
fonctionnement constaté.
La question néanmoins se pose. En faire l’impasse nous entraînerait à oublier le très haut
degré d’exigence qui impose l’accueil des E.I.P dans le contexte scolaire actuel.
– Le collège Fénelon à Lyon
Depuis 1997, ce collège accueille des E.I.P. Ce projet obéit à la double nécessité de prendre
en compte les besoins propres à ces jeunes et de veiller à leur bonne intégration dans
l’établissement et dans le système éducatif.
Le Principal du collège est arrivé en 2000 ; il avait eu dans ces précédentes fonctions une
petite expérience des E.I.P qui selon lui étaient « en souffrance ». Il dit n’être ni un militant ni
un spécialiste mais explique que, lors de son audition par la commission de recrutement, il fut
bien évidemment questionné longuement sur ce problème. En effet, dans cet établissement le
projet pédagogique d’accueil des E.I.P est très pensé. Cette idée a été proposée à la réflexion
par le président de l’association de gestion de l’établissement dès 1995.
Tout de suite un groupe d’enseignants et de parents d’élèves s’est passionné pour ce sujet et a
ensuite accompli un important travail de recherche, écumant colloques et conférences,
dévorant ouvrages et revues spécialisés
Malgré l’enthousiasme de ces pionniers, un premier refus leur sera opposé par le Conseil
d’Administration.
De fil en aiguille, leurs priorités seront mieux connues, davantage admises et en 1997 l’action
débutera.
C’est dans ce collège que le cheminement a sans doute été le plus long et le plus sérieux, mais
ce temps d’attente a permis d’enrichir la réflexion et de faire naître un consensus.
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Au début de ce paragraphe nous parlions de pragmatisme, d’enthousiasme et de militantisme :
– militantisme parce qu’au départ il faut convaincre, défendre des arguments, arracher des
décisions.
– enthousiasme parce que les difficultés sont nombreuses, les réticences multiples et qu’il
est nécessaire d’inscrire le processus dans la durée.
– pragmatisme parce qu’une fois passé le temps des valeurs, des croyances le principe de
réalité l’emporte.
Toutes ces expériences sont nées très récemment, la plus ancienne a juste soufflé ces treize
bougies. On s’aperçoit que dans cette phrase de démarrage les conditions de création sont
déterminantes. Il faut sans cesse avoir cette donnée à l’esprit surtout si l’on envisage de
développer à l’échelon national les dispositif d’accueil des E.I.P dans le second degré.
Un pur volontarisme institutionnel qui négligerait le débat intellectuel, voire idéologique, la
pédagogie, le volontariat et la nécessaire maturation des esprits courrait à l’échec. Dans le
domaine des E.I.P plus que dans tout autre, les bonnes conditions de naissance font les bons
projets.
1.3 Le rôle du chef d’établissement
La fonction de chef d’établissement dans le second degré exige des qualités managériales et
relationnelles, une aptitude à la négociation et au dialogue avec les partenaires du système
éducatif. Elle nécessite aussi une compétence et une expérience pédagogique, permettant une
lecture pertinente des démarches éducatives des enseignants.
Personne ne peut nier la réalité de ce bref descriptif des qualités et aptitudes attendues d’un
principal de collège.
La question que nous nous sommes donc posée avant, pendant et après nos entretiens avec les
chefs d’établissements concernés par notre enquête était donc fort simple : existe – t-il un
profil professionnel et psychologique particulier pour piloter un établissement accueillant des
E.I.P.
Autrement dit, le métier de chef d’établissement scolarisant des E.I.P est -il différent et doit-il
être réservé à des personnels de direction bénéficiant d’une expérience spécifique ? La
question peut d’ailleurs se poser en des termes similaires pour les enseignants.
Pour tenter de répondre à cette interrogation, nous passerons successivement en revue les
points suivants : la nature du travail du chef d’établissement accueillant des E.I.P, la vie
scolaire, le C.D.I.
– N’entretenons pas plus longtemps un faux suspense. Notre conclusion est sans appel. Les
chefs d’établissement accueillant des E.I.P font exactement le même métier que leurs
autres collègues.
L’accueil d’E.I.P n’est pas un facteur discriminant dans l’exercice des fonctions de chef
d’établissement. Ce qui prime, ce qui compte, ce qui différencie, c’est davantage l’origine
sociologique des élèves, l’environnement socio-économique de l’établissement ou la stabilité
des équipes enseignantes. En clair et au risque d’apparaître caricatural, il y a sans doute plus
de différences entre le collège du Cèdre au Vésinet et le collège Joliot-Curie à Bron qu’entre
le collège du Vésinet et un autre établissement de cette partie résidentielle des Yvelines. De la
même manière Joliot-Curie à Bron rencontre sans doute les mêmes difficultés que les autres
établissements de la banlieue Est de l’agglomération lyonnaise.
Tous les chefs d’établissements rencontrés peuvent être évalués selon les mêmes critères que
leurs homologues des autres collèges. Ils ont les mêmes problèmes à résoudre :
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– la conduite du projet d’établissement (diagnostic, définition d’objectifs stratégiques, suivi,
évaluation)
– la communication interne
– la relation avec les autorités académiques et les collectivités territoriales.
– Les relations de réseau (bassin de formation, ZEP)
– La mise au point de la structure pédagogique et l’utilisation de la DGH
– Les critères de répartition des élèves en classes et en groupes
– L’organisation du temps scolaire et des emplois du temps
– Les problèmes d’orientation
– La mise en œuvre des réformes ministérielles et des innovations en cours
– L’ordonnancement des dépenses
– La préparation et l’exécution du budget
– L’organisation du contrôle des connaissances des examens…
– Etc………….
Arrêtons là la liste. Tout chef d’établissement est confronté à ce référentiel, E.I.P ou non.
Au collège Joliot-Curie la principale nous a déclaré “accueillir les E.I.P comme elle accueille
d’autres publics spécifiques à savoir des nageurs ou des danseuses”.
Le maître mot de ce projet d’établissement, c’est l’accueil de la diversité et de toutes les
différences à travers quatre axes prioritaires; aider l’élève en difficulté, éveiller l’excellence
de chacun, donner du sens à son métier d’élève, se reconnaître et respecter les autres.
Dans un esprit assez proche, à Fénelon, la classe accueillant en 6e
les E.I.P s’inscrit dans un
contexte plus général ou chaque classe a un projet particulier ; défi lecture pour les uns, classe
découverte de la ville pour les autres, classes européennes pour les derniers.
Tous les principaux essaient de banaliser la présence des E.I.P dans l’établissement et par un
effet de ricochet de normaliser au maximum leur pratique professionnelle.
Il n’en reste pas moins vrai que tous sont très mobilisés, prennent leur travail à cœur, refusent
le conformisme des situations acquises, regrettent la médiocrité. Ils sont devenus à leur
manière, parfois à leur corps défendant des militants.
On peut ainsi citer le travail de D. JONCHET à Sainte-Adresse qui a rédigé “un petit manuel
à l’intention des professeurs des écoles et des collèges, des personnels d’inspection et de
direction” en attente d’édition au CRDP de Rouen.
Quoi que l’on puisse penser de cet ouvrage, de ses qualités comme de ses lacunes, il est
symptomatique de noter qu’il résulte d’une initiative individuelle et non pas d’une réponse de
l’institution face au problème de la précocité intellectuelle.
Pour revenir à un propos plus général, il nous semble que pour diriger un établissement
accueillant des E.I.P le chef d’établissement concerné doit bien évidemment déployer
d’indéniables qualités professionnelles mais doit avoir avant tout une éthique irréprochable et
un sens de l’engagement.
Un seul point est très différent des autres établissements, c’est la relation avec les parents
d’élèves. Compte tenu de la particularité de ce aspect des choses, nous le développerons
ultérieurement. La relation avec les parents d’élèves ou plus généralement avec les parents
d’enfants précoces qu’ils soient scolarisés ou non dans l’établissement est véritablement
chronophage.
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– La Vie scolaire
Le même constat que précédemment peut être fait. Les CPE sont confrontés aux mêmes
difficultés que dans les autres établissements.
Pour les équipes “Vie scolaire” les E.I.P ont le même comportement que leurs camarades. Ils
sont suivis comme les autres, sanctionnés comme les autres. Seule la principale du collège
Maurice Scève évoquera des “retards permanents et répétés”, des “caractères ingérables ”
“des difficultés à se plier aux règles”, des “élèves vivants leur précocité comme une
difficulté”, des enfants ayant “besoin d’un accompagnement psychologique”
Devant ce constat isolé mais éloquent, la question est de savoir si ces difficultés de vie en
collectivité sont dues à la précocité intellectuelle où à la situation d’échec scolaire dans la
mesure où le collège Maurice Scève n’accueille que des E.I.P en difficulté d’apprentissage.
Il est également à noter que, selon la principale de Joliot-Curie, tous les E.I.P de son
établissement sont suivis psychologiquement.
Cet état de fait doit nous interroger. Le problème de la précocité intellectuelle au collège ne
relève -t-il pas autant de la souffrance dans une institution que d’une inadaptation à la norme
scolaire et à ses rythmes d’apprentissage ?
N’y a -t-il pas sur ce point le risque pour l’Ecole d’être envahi, débordé, asphyxié par un
discours médical psychologisant ?
– Les CDI
Le constat de l’utilisation des CDI par les E.I.P et de leur relation avec le/la documentaliste ne
soulève pas de remarques particulières.
Ils fréquentent les CDI comme les autres élèves. Seules les E.I.P filles sont de très grandes
lectrices.
Leur consommation d’ouvrages, livres ou périodiques se rapproche de la moyenne.
Le seul point qui les différencie fortement est leur soif d’approfondissement. Sur un thème
donné ils veulent tout savoir, tout connaître et sollicitent alors fortement la documentaliste
comme ils le font en classe avec leur professeur. Leur curiosité intellectuelle est sans limites
mais elle ne bloque en rien le fonctionnement normal du CDI. A noter que tous les CDI
visités ont une petite sélection d’ouvrages sur la précocité intellectuelle. Ces livres
s’adressent aux adultes aux enseignants mais sont dans les faits peu lus, peu étudiés sauf
quand le chef d’établissement suscite une recherche.
Dans les établissements accueillant des E.I.P nous avons rencontré des personnels de
direction dont la vocation de chef d’équipe ou de chef d’orchestre est évidente ou s’est révélée
par la force des circonstances. Attentifs à la vie scolaire ou à l’animation du CDI, ils sont
souvent les porteurs d’un projet qui n’est pas assez formalisé. Peu d’écrits, beaucoup
d’actions. On peut craindre qu’un changement de principal à l’occasion du mouvement, c’est
le cas à Sainte-Adresse, ne fragilise l’ensemble du dispositif.
Le rôle fédérateur que peut offrir le projet d’établissement par sa méthodologie et sa capacité
à entraîner la communauté éducative doit être davantage utilisé. Il y va de la pérennité des
actions.
1.4 Les E.I.P et le contexte institutionnel
Jusqu’ à la présentation publique le 28 mars 2002 du rapport sur “La scolarisation des élèves
intellectuellement précoces ” par le Ministre de l’éducation nationale en personne,
11
l’institution scolaire n’avait jamais pris parti sur le sujet. Le silence était assourdissant. Le
rapport “Delaubier” a ouvert une brèche.
Nous avons déjà dit tout le bien que nous pensions de ce travail et nos interlocuteurs nous ont
confirmés dans cette première impression. Il y a un avant et un après rapport Delaubier. Nous
avons d’ailleurs le sentiment que la mission que nous ont confiée le Ministre de la Jeunesse,
de l’éducation nationale et de la Recherche et le Ministre délégué à l’enseignement scolaire
s’inscrit dans cette dynamique.
Pour aborder la question de la relation que l’institution scolaire en tant que système technicoadministratif entretient avec les E.I.P, nous proposerons d’évoquer successivement le rapport
Delaubier, la circulaire de rentrée 2002 et le rôle des autorités déconcentrés.
– le rapport Delaubier
Du chef d’établissement au C.P.E, du professeur au documentaliste tous les personnels de
l’éducation nationale intéressés par la question de la précocité intellectuelle citent
spontanément l’intérêt de ce rapport. A n’en pas douter, il répond à un besoin intellectuel,
psychologique et professionnel.
Avec ce travail tous les défenseurs des E.I.P ont eu le sentiment d’être enfin reconnus par
l’institution. Ils quittaient enfin l’ombre, le « ghetto de l’A.I.S » pour reprendre l’expression
d’une de nos interlocutrices et leur préoccupation apparaissait enfin sur l’agenda de la
décision politique.
On a du mal à imaginer le rôle symbolique qu’occupe ce document dans la vie des
établissements concernés.
C’est le document fondateur.
En ouvrant des perspectives de recherche scientifique, en montrant les liens entre la précocité
intellectuelle et la dimension cognitive des phénomènes d’apprentissage, en évoquant les
réponses des autres pays ou les interrogations des grandes institutions internationales, ce
rapport a décomplexé les acteurs de terrain.
A sa manière, il a fait œuvre de thérapie et a permis de faire sortir la question des E.I.P de
l’étroit carcan de l’élitisme. La complexité du phénomène a éclaté au grand jour pour le grand
bonheur de nos interlocuteurs dont l’engagement professionnel spécifique a été reconnu.
Tous souhaiteraient que le « Ministère mette en œuvre le maximum des neufs propositions de
Delaubier ».
– La circulaire de préparation de rentrée 2002
Dans la foulée du rapport Delaubier, nos interlocuteurs citent la circulaire de préparation de
rentrée 2002 et notamment la chapitre V (favoriser la réussite des publics spécifiques). « il
convient d’être attentif à la situation des E.I.P. On pourra ainsi envisager diverses modalités
permettant d’adapter leurs parcours scolaire à leur rythme d’apprentissage ». A n’en pas
douter, avec cette formulation en date du 18 avril 2002, la rédaction des prochaines
circulaires de rentrée sera observée à la loupe. Tout nouveau texte ne citant plus
nominativement les E.I.P sera vécu comme une reculade, un retour en arrière voire, chez les
militants, comme une trahison. En effet, il semble qu’entre la circulaire de rentrée du 18 juin
2001 « il faut encourager les initiatives des établissements pour que les équipes pédagogiques
mettent en place les dispositifs les mieux adaptés aux besoins des élèves. Les établissements
par l’intermédiaire de leur conseil d’administration doivent exercer pleinement leur
autonomie et leur responsabilité pédagogique et éducative… il s’agit de faire confiance aux
équipes de terrain et à leur créativité pédagogique pour expérimenter d es dispositifs
originaux de prise en charge des élèves en difficulté… » et celle précédemment citée, nos
12
interlocuteurs chefs d’établissement aient vu une différence, conséquence directe du rapport
Delaubier.
Dans un registre quelque peu différent, il faut également avoir en mémoire la réponse écrite à
une question parlementaire (J.O du 17 décembre 2001 page 72 62)
« L’école a pour mission de favoriser la réussite et l’épanouissement harmonieux de tous les
élèves et ne saurait se désintéresser de la situation d’enfants dits intellectuellement précoces…
certains E.I.P ne trouvent pas les stimulations qui combleraient leur curiosité ou
correspondraient à leur niveau de développement cognitif. Il arrive même que certains d’entre
eux connaissent paradoxalement un échec scolaire. D’ores et déjà il est prévu d’encourager
les innovations dans la prise en charge de ces enfants. »
Ayant pu constater la rareté de la parole officielle sur la question de la précocité intellectuelle,
nous ne saurions que trop conseiller d’être particulièrement vigilants sur la rédaction de tout
documents engageant le Ministère et d’éviter ainsi tout malentendu.
– les autorités déconcentrées de l’éducation nationale.
Disons-le vite et d’emblée de jeu, c’est le désert. A l’exception notable de l’académie de Lyon
il n’y a rien à notre connaissance. Aucun rectorat, aucune inspection d’académie n’a inscrit
parmi ses préoccupations la scolarisation des E.I.P.
Les chiffres sont éloquents et parlent d’eux-mêmes : sur tout le territoire national on compte
quatre collèges publics et un privé sous contrat qui ont une réflexion et une pratique. En
étant généreux on pourrait ajouter deux collèges publics : un dans l’Essonne, un autre dans le
Rhône qui s’interrogent.
Nous ne comptons pas dans le dispositif les établissements privés dont l’accueil des E.I.P.
semble davantage relever de la politique commerciale de démarchage des parents que de
préoccupations d’ordre pédagogique.
On peut donc raisonnablement estimer le nombre de places offertes en collège à des E.I.P. à
240. Sachant que le nombre d’élèves dans le 1er cycle du second degré est d’environ (public
+ privé confondus) 3,2 millions et que la majorité des spécialistes tombent d’accord pour
estimer que 2,3 % de la population scolaire peut être considéré comme intellectuellement
précoce, le chiffre potentiel d’ E.I.P. en collège est de plus de 73000.
Osons un raccourci audacieux en rapprochant ce chiffre de 73000 élèves potentiellement
E.I.P.en collège, des 240 places recensées et on obtient pour toutes les académies un taux
d’accueil de 0.32 %, soit une place pour 304 E.I.P. Le procédé est brutal et la démarche
manque peut être de rigueur scientifique mais la réalité des chiffres montre bien l’ampleur du
problème à régler.
Face à cette absence de réponse quantitative de l’institution, on constate une heureuse
exception avec la volonté de l’académie de Lyon et de l’inspection académique du Rhône ;
implication au moment du lancement , suivi annuel, évaluation du dispositif, effort de
réflexion avec le centre de recherche et de formation continue de l’IUFM.
On devine une volonté d’accompagner le mouvement et l’ébauche de la constitution d’un
mini-réseau sur l’agglomération lyonnaise.
De ce regroupement de bonnes volontés doit naître un article pour la nouvelle revue de l’A.I.S
intitulé « le pédagogue et l’élève intellectuellement précoce : entre fascination et
dénégation ».
Dans ce dispositif, il faut mentionner la place particulière prise le centre Michel Delay de
l’IUFM de Lyon. Ce centre de recherche a été « approché » dès 1997 par le Rectorat de
l’Académie de Lyon pour accompagner la réflexion d’équipes de collèges accueillant
13
volontairement dans leur établissement des élèves dits intellectuellement précoces ; élèves
qui avaient déjà attiré l’attention (dysharmonies, atypicité de telle ou telle conduite
intellectuelle, phénomènes de retrait/rejet) de l’encadrement didactico-pédagogique au point
d’engager pour une majorité d’entre eux une procédure de désectorisation scolaire.
Force est de constater, quelque soit le regard que l’on porte sur les activités du Centre Michel
Delay, qu’une véritable réflexion scientifique, pédagogique et didactique est menée à Lyon.
On aimerait pouvoir multiplier de telles remarques à l’échelon national, mais ce n’est pas le
cas.
Dans nos propositions destinées à renforcer et à multiplier la scolarisation des E.I.P. en
collège, nous aurons constamment en mémoire l’exemple lyonnais.
Et ailleurs dans les autres sites visités en Seine-Maritime et, dans les Yvelines que constate-ton sur l’implication des autorités académiques et rectorales ? La réponse est simple : rien ou
si peu. Il ne s’agit pas de critiquer tel ou tel responsable mais plus prosaïquement de constater
le désintérêt de l’institution pour le problème.
Il est toujours très délicat de faire parler un chef d’établissement sur ces relations avec ses
supérieurs hiérarchiques. Il est nécessaire de décrypter les propos, de lire entre les lignes ou
encore d’extrapoler à partir de non-réponses. Ces précautions prises, nous avons eu le
sentiment que les deux principaux concernés regrettaient de n’avoir qu’une écoute polie de
leurs inspecteurs sur le problème de la scolarisation des E.I.P. Ils auraient aimé être soutenus,
aiguillonnés, davantage évalués.
Ils nous diront leur satisfaction de voir l’Inspection générale s’intéresser à leur établissement.
Au Vésinet, Mme GUIOT s’est réjouie d’avoir vu l’an dernier un I.P.R de mathématiques se
pencher sur l’apprentissage des mathématiques par les E.I.P.
A Sainte-Adresse, M. JACHET note la compréhension de l’I.A adjoint en résidence au Havre
sur la gestion des dérogations d’inscription dans son établissement.
Devant l’indifférence de l’institution, toutes les réactions, toutes les prises de position
deviennent des événements, se transforment à tort ou à raison en signaux des autorités.
L’isolement de ces chefs d’établissement est à souligner.
1.5 Les relations avec les parents d’élèves.
Lorsque nous avons évoqué le rôle du personnel de direction dans les établissements
accueillant des E.I.P nous avons affirmé que la seule différence notoire avec les autres
collèges concernait les relations avec les parents d’élèves.
Il nous faut maintenant développer cette dimension du travail.
Cette tâche essentielle décrite comme chronophage ,nous insistons sur la notion, impose au
chef d ‘établissement une forte aptitude à l’écoute, au dialogue mais aussi à l’autorité.
En effet, il semble bien que dans ce domaine le risque est grand de se faire déborder, dépasser
par les parents d’élèves de l’établissement, les parents d’élèves de toute la France à la
recherche d’information, les Associations de parents et dans une autre mesure par les médias.
Ces trois thèmes permettent de mieux expliquer comment le chef d’établissement est
confronté à une forme régulière et rémanente de pression.
Nous ne développerons pas ici la relation Enseignants/parents dans la mesure où, toutes
choses égales par ailleurs, elle n’apporte pas un éclairage de nature différente par rapport au
chef d’établissement.
– les relations avec les parents d’élèves de l’établissement
14
La «pression est permanente et quotidienne ». C’est un «gros morceau dans le travail ». Ce
sont « eux qui mettent la pression sur les enfants ». Il est nécessaire d’être «proche des
enfants et des familles ». Les parents nous menacent de « mettre les enfants dans le privé ».
Ces expressions recueillies illustrent mieux qu’un long déve loppement la façon
extraordinairement forte dont les parents d’élèves d’ E.I.P suivent la scolarité de leurs enfants.
Tout est scruté, ausculté. La moindre difficulté donne lieu à un coup de téléphone, une
demande de rendez-vous, une visite inopinée.
Certains parents d’élèves sont d’anciens E.I.P ou ont le sentiment que leur précocité
intellectuelle n’a pas été décelée par l’école et à ces deux titres peuvent donner le sentiment
d’avoir des comptes à régler avec l’institution.
Dans les cas extrêmes et devant la longueur d’entretiens sans fin, nous entendrons même les
expressions « ce sont des sauvages, des caractériels… »
L’exaspération n’est pas loin et pourtant personne ne baisse les bras. Aucun découragement
n’est à noter.
– Le chef d’établissement «personne ressource »
Cinq collèges, environ deux cent quatre places et plus de 70000 E.I.P potentiels pour le 1er
cycle du collège.
Les chefs d’établissement se transforment par la force des choses en « « personne ressource».
Leur ligne téléphonique est surchargée d’appels en provenance de la France entière, DOMTOM compris.
Ils gèrent l’angoisse des parents d’élèves d’ E.I.P de leur collège et renseignent en
permanence tous les parents angoissés à l’idée d’avoir un enfant intellectuel précoce.
Il y a un véritable surcroît de travail dans la mesure où aucune information officielle facile
d’accès n’est à la disposition des familles. Dès qu’un article de journal ou qu’une émission
radiophonique ou audiovisuelle mentionne leur établissement, c’est l’avalanche de coups de
téléphones ou de courriers.
Et il faut faire avec les moyens du bord. Aucun moyen supplémentaire n’est prévu. Les
secrétariats sont alors fortement sollicités et les journées de travail des chefs d’établissement
s’allongent indéfiniment car il faut bien assumer les autres tâches de sa fonction.
– Les associations et les médias
Ayons l’honnêteté de le dire, sans la mobilisation, certes excessive aux yeux de certains, des
associations de parents d’élèves intellectuels précoces, il ne se serait rien passé.
Leur travail inlassable, leur volonté de convaincre, leur passion pour aider les parents en
détresse en font des «quasi-auxiliaires » du service public. Nous avons pu constater que pas
un établissement n’avait bâti son projet sans avoir été à un moment ou à un autre, sous une
forme ou sous une autre en contact avec une association.
Le rapport Delaubier évoque cette kyrielle de regroupements. Là encore il ne nous appartient
pas de juger ni d’évaluer leurs actions mais de constater que leur rôle est utile aux
établissements scolaires et qu’elles entretiennent un bouillonnement intellectuel constant,
mais pas toujours dénué d’arrières -pensées.
Ainsi, quand un journaliste souhaite visiter un établissement accueillant des E.I.P, il y a bien
souvent à l’origine une action de lobbying de l’une ou l’autre des associations. A l’exception
notable des articles suscités par la publication du rapport Delaubier, jamais le Ministère n’a
osé communiquer sur le sujet. Cela étant dit ni les chefs d’établissement, ni les enseignants ne
se plaignent réellement de la presse. L’éventuelle approche « sensationnaliste » à la recherche
de « surdoués » ne tient pas longtemps. Après les nécessaires explications d’usage, tout rentre
15
dans l’ordre. La complexité du phénomène de la précocité intellectuelle semble être bien
admise et bien comprise par les journalistes. Il y a bien un travail de gestion des relations avec
la presse, mais aujourd’hui tout chef d’établissement est susceptible d’y être confronté.
La différence essentielle tient à la nature des médias intéressés.
Il faut pouvoir répondre à la presse spécialisée au grand public et ne pas se contenter des
médias locaux ou régionaux.
Face à l’importance de la gestion des relations extérieures, les établissements visités ont tous
essayé de mettre en place une politique de communication.
– site internet du collège
– livret d’accueil
– accueil individualisé des familles
– contrat éducatif entre le chef d’établissement, les parents et l’élève
– organisation de conférences
– rédaction d’articles pour revues spécialisées
– mailings aux parents et directeurs d’écoles du périmètre de recrutement
– élaboration d’une charte
Cette recherche de visibilité donne des résultats inégaux mais est nécessaire. La volonté de
dédramatiser, de banaliser et d’expliquer est partagée par tous.
Le phénomène de la précocité intellectuelle charrie fantasmes, fascination et réactions de
rejet.
Se recroqueviller sur l’établissement ne pourrait qu’accentuer cette fâcheuse propension à
travestir la vérité.
Les établissements visités montrent au contraire la voie en ouvrant grandes les fenêtres et en
jouant la transparence pour rassurer parents et enfants.
1.6 Les structures pédagogiques
Dans les cinq établissements observés, une grande diversité préside à l’organisation
des structures pédagogiques. Ou les élèves intellectuellement précoces sont regroupés dans
des classes homogènes -c’est le cas, de la 6ème à la 3ème, au collège du Cèdre au Vésinet ; c’est
aussi le cas, mais dans une moindre mesure, au collège Fénelon de Lyon, mais dès la 5ème la
classe s’ouvre progressivement à d’autres élèves venant d’autres horizons-, ou ils sont, dès la
6
ème mêlés à d’autres élèves. C’est, par exemple, ce que l’on observe au collège de la Hève à
Sainte-Adresse où les élèves intellectue llement précoces ne sont pas identifiés en tant que tels.
Les tenants des classes homogènes s’accordent pour reconnaître la nécessité d’une
structure accueillant les élèves intellectuellement précoces au début de leur cursus au collège.
Les professeurs insistent sur la nécessité d’effacer les traumatismes et les dysfonctionnements
du parcours antérieur à l’école élémentaire -redisons-le, loin du mythe de l’élève virtuose et
brillant pour qui tout serait aisé, les élèves intellectuellement précoces sont des élèves qui
rencontrent des difficultés et relèvent, à ce titre, du domaine des publics spécifiques et
l’avantage d’une classe homogène est de permettre la constitution d’un groupe stable et apaisé.
Le fait que ces classes reçoivent autour d’une vingtaine d’élèves favorise les conditions
d’un travail efficace et suivi. Il faut très souvent remotiver des enfants pour qui l’école est
synonyme d’ennui, certains, s’ils sont capables de produire un raisonnement formé et parfois
même fulgurant, arrivent au collège avec un refus d’écrire (une difficulté souvent même dans
la motricité du geste graphique) qui s’explique par les tâtonnements, les réponses
16
inappropriées, au nombre desquelles les sauts de classe, qui ont marqué leur scolarité en
amont.
Lorsque ces élèves se retrouvent mêlés à leurs camarades, par leur vivacité, la
promptitude de leur raisonnement, ils jouent souvent le rôle de moteurs capables d’entraîner la
classe. Mais ils appellent toutefois un suivi particulier qui implique la prise en compte de leur
spécificité. Leur activité extrême, leur lenteur parfois aussi, leur inadaptation à la norme
scolaire souvent avivée par leur expérience de l’école élémentaire, les difficultés ou les
appréhensions qu’ils rencontrent au moment de la formalisation et du passage à l’écrit exigent
un traitement accordé au profil de chacun. D’où l’importance des effectifs resserrés qui
permettent une observation continue des élèves et la mise en place de remédiations et de
consolidations.
Le collège Joliot-Curie de Bron, qui accueille quinze élèves intellectuellement précoces dans
les quatre niveaux, a mis en place une structure originale. Etant donné leur nombre, les élèves
suivent une scolarité dans les classes du collège (ils sont 5 en 6ème, 3 en 5ème, 2 en 4ème, 5 en
3
ème), mais ils bénéficient d’un tutorat assuré par un professeur qui leur sert de référent et
qu’ils choisissent. Ce professeur les rencontre et les conseille selon un rythme de séance et une
périodicité déterminés de manière contractuelle. Deux axes guident le tutorat dès qu’il
s’instaure au début de la 6ème : l’aide méthodologique et les conseils prodigués pour tout ce qui
touche à la vie de l’établissement. Le collège Maurice Scève à Lyon a choisi, lui, de regrouper
dans une classe commune 6ème
-5
ème 6 élèves intellectuellement précoces en grande difficulté.
Les six élèves sont regroupés en français, mathématiques et anglais et retrouvent d’autres
classes pour les autres disciplines. Là aussi un dispositif original a été mis en œuvre pour
responsabiliser les élèves ; l’élaboration d’une charte qui embrasse des aspects aussi différents
que des éléments d’ordre comportemental (respecter autrui, l’écouter, faire montre de
politesse, ne pas « afficher » son quotient intellectuel) ou encore des éléments tenant aux règles
de la vie de la classe (avoir le matériel nécessaire – il semble, à entendre les professeurs, que
ce soit une réelle difficulté-, respecter les dates de remise des devoirs…).
Mais il ne saurait s’agir uniquement de redonner envie à ces élèves d’être en classe,
l’horizon ne saurait se limiter à une indispensable remotivation, à une responsabilisation. Il
faut aussi prendre en compte leur spécificité, la soif de curiosité qui est la leur, cette curiosité
inextinguible qui, au dire des professeurs, est souvent déstabilisante, voire épuisante. La
demande des élèves -lesquels préfèrent souvent la posture de celui qui sait à celle de celui qui
apprend-, leur désir aussi de s’échapper des cadres des programmes sont des facteurs qu’on ne
saurait nier. Leur aisance à l’oral -nous l’avons constatée-, la facilité aussi avec laquelle ils se
meuvent dans la sphère des idées, l’aptitude, constamment reconnue également, qui est la leur
à établir connexions et passerelles entre les différents domaines d’une discipline et entre
diverses disciplines (ce qui explique leur goût pour tout ce qui est de l’ordre des pratiques
croisées, interdisciplinaires, les itinéraires de découverte par exemple), tous ces faits imposent
une reconnaissance et une réponse spécifique.
Pour autant, et cette réalité s’applique avec d’autant plus de vigueur si les élèves
intellectuellement précoces sont répartis dans les différentes classes du collège, on ne saurait
s’affranchir de l’exigence réglementaire en matière de programme. Les différents professeurs
rencontrés insistent de manière convergente, quelles que soient les disciplines enseignées,
pour dire qu’une loi préside à la mise en place de leur projet et de leur progression
pédagogique : le respect absolu des programmes des classes concernées. Exigence et rigueur
sont les maîtres mots de l’enseignement prodigué dans les classes, au niveau donné. Même si
17
souvent, en mathématiques par exemple, les élèves sont capables d’intuitions qui les poussent
à explorer les questions des classes ultérieures, il ne s’agit, à aucun moment, de traiter par
anticipation le programme des années à venir.
Les professeurs se sont fixé une règle, celle de l’approfondissement. En
mathématiques, il peut s’agir de précisions ou d’informations liées à l’histoire de cette
discipline ; il peut être aussi question de jeux concours qui affrontent les élèves à des
difficultés nouvelles, ce qui est pour eux une nouvelle source de motivation. En français, des
lectures cursives complémentaires, des situations d’écriture longue et inventive peuvent être
proposées. Un collège, celui de Bron, à côté de l’expérience intéressante du tutorat, dans cette
perspective d’enrichissement et d’approfondissement des savoirs et des pratiques, offre aux
élèves intellectuellement précoces des « ateliers », à des périodicités variées. L’atelier
« philosophie », conduit par une personnalité extérieure au collège, fonctionne au rythme d’une
réunion mensuelle, l’atelier « échecs » se réunit, lui, toutes les semaines. Un atelier de
calligraphie – l’initiative mérite d’être notée eu égard aux difficultés souvent mentionnées par
les professeurs dans ce domaine – a disparu faute de moyens…
Cette volonté de proposer aux élèves intellectuellement précoces d’autres structures de
travail et d’épanouissement parallèlement aux séances de cours traditionnelles est un élément
fondamental qu’il convient de saluer. Elle participe d’un souci de reconnaître pleinement la
spécificité de ce public et de lui offrir au sein de l’établissement scolaire, sans susciter pour
autant de séisme à l’intérieur des cadres et des structures, un faisceau de réponses cohérentes
et appropriées. Elle exige sans nul doute une réflexion préalable et approfondie, et une
concertation permanente des professeurs enseignant dans ces classes. L’équipe du collège
Fénelon de Lyon a également mis en œuvre un dispositif qui retient l’attention. Il s’inscrit dans
l’espace d’un projet qui se déploie selon trois dominantes : l’épanouissement, la réussite et la
socialisation – et ces mots prennent tout leur écho si l’on songe aux difficultés précédemment
rencontrées par les enfants dans ces trois domaines. Des journées, toutes les cinq semaines
environ, permettent aux élèves intellectuellement précoces de se retrouver entre eux au cours
de séances informelles favorisant la remédiation et l’approfondissement.
Dans le cas où les classes ne sont pas réservées aux seuls élèves intellectuellement
précoces, la nécessité d’offrir des moments, à l’occasion des séances informelles ou d’ateliers,
où les élèves peuvent travailler entre eux, paraît être une nécessité. De la même manière, et ce
trait nous a été maintes fois signalé, les élèves intellectuellement précoces ont souvent une
passion ou un domaine de prédilection qui peut venir nourrir un « projet individuel de
réalisation ». Ce projet (il est mis en œuvre en 6ème au collège Fénelon) impose une recherche,
la construction d’une maquette ou d’un objet, ou la rédaction d’un texte ou d’un document. En
accordant une large part à l’autonomie de l’élève, à sa créativité, en s’appuyant sur
l’interdisciplinarité, il favorisera l’épanouissement dans les limites d’un choix assuré par
l’élève lui-même. La présentation du travail ainsi conduit se fait devant la classe, les
enseignants et les parents. Un projet s’est ainsi concrétisé, il a quitté la sphère du virtuel et de
l’individuel pour s’inscrire dans l’espace de la classe et de la communauté scolaire, ce qui
permet une articulation heureuse entre l’épanouissement de soi et une indispensable
socialisation.
Dans les cinq établissements observés, les structures les plus intéressantes, les
accomplissements les plus originaux sont inséparables d’une réflexion des équipes
enseignantes. Elles disent toutes la nécessité d’aider les élèves intellectuellement précoces
lorsqu’ils arrivent au collège, jamais dans le souci de constituer des pépinières d’excellence
18
mais, au contraire, dans la volonté commune de prendre en charge les différences et les
difficultés. C’est pourquoi le fait de maintenir exclusivement entre eux, de la 6ème à la 3ème
,
les élèves intellectuellement précoces, n’est certainement pas le choix le plus heureux. On sait
bien que, dès la classe de 4ème, le jeu des options en langues vivantes permet certes une
ouverture et l’intégration dans d’autres classes, avec d’autres élèves. Mais une ouverture plus
radicale s’impose.
La quinzaine d’élèves de 3ème interrogés au collège du Cèdre au Vésinet reconnaît ellemême qu’une dispersion à la fin de la 4ème aurait été souhaitable. L’éparpillement, qui était une
crainte auparavant, est à présent souhaité. Parce que le dispositif des classes homogènes
produit une forme de saturation. Parce qu’il s’agit de préparer le passage au lycée qui relève de
l’aventure et du saut dans l’inconnu. Le regroupement des élèves intellectuellement précoces
dans des sections où ils ne sont qu’entre eux semble surtout se justifier au début du cursus au
collège, alors que nombre de difficultés (d’adaptation, de régulation) ont encore à être
surmontées. Une mise en œuvre de dispositifs (tutorat, ateliers, projets personnels) alliant la
remédiation et l’approfondissement relève de la nécessité absolue, mais elle suppose une
réflexion préalable et une concertation des équipes.
Intégrer, dès la 5
ème ou la 4
ème, les élèves intellectuellement précoces, à d’autres
classes, c’est surtout une façon d’éviter une forme de surprotection qui ne pourrait avoir que
des effets négatifs. C’est favoriser l’ouverture de ces élèves aux autres dans les classes où ils
auront un rôle, d’entraînement et éventuellement d’entraide, à jouer.
Rien n’interdit la poursuite parallèle, selon les situations et les besoins observés, des
dispositifs spécifiques qui ont pour unique justification d’éviter à ces élèves de revivre la
spirale des échecs antérieurs.
L’histoire et les pratiques locales expliquent sans doute que l’on ait perpétué dans un
collège comme celui du Vésinet une formule qui gagnerait à être revue et assouplie. En tout
état de cause, si les classes accueillant des élèves intellectuellement précoces devaient être
multipliées sur le territoire national, ce qui ne serait que justice, il serait préférable,
conformément à ce que nous avons vu, de retenir, dès la classe de 5
ème, une fois les
consolidations et les remédiations nécessaires accomplies, le principe de l’hétérogénéité.
1.7 Les équipes enseignantes
Tous les professeurs rencontrés disent leur satisfaction d’enseigner dans des classes
accueillant des élèves intellectuellement précoces. Certains ont choisi d’enseigner dans ces
classes et manifestent un degré de réflexion qui montre à quel point ils se sont préparés à
recevoir et à former ces élèves. Cette réflexion est indispensable au moment de la mise en
place du dispositif ; au collège Fénelon à Lyon, l’année précédant l’arrivée des premiers élèves
de 6
ème, un groupe de professeurs s’est constitué, il a rencontré des représentants des
associations, des collègues déjà sensibilisés à cette question : dans sa structure et son
déploiement le dispositif a été pensé. Au collège du Cèdre au Vésinet, cette réflexion a aussi
existé, mais le temps passant, au gré des mutations, l’équipe initiale s’est renouvelée.
La cohésion de l’équipe, l’adhésion pleine et sans faille des professeurs au projet sont
des facteurs déterminants. Tous disent qu’enseigner dans ces classes suppose une aptitude à se
19
remettre perpétuellement en question et à accepter la curiosité inlassable et l’avidité
intellectuelle qui caractérisent ces élèves. Mais il n’y a pas que cela. Un groupe apparemment
homogène d’élèves intellectuellement précoces recèle une profonde hétérogénéité et un lot de
difficultés qu’il faut apprendre à gérer. Celles-ci vont d’une relative instabilité à une
contestation, manifestée, de la norme scolaire. Il faut savoir faire preuve d’énergie et de
disponibilité, que ce soit en classe ou dans le cadre plus resserré de l’atelier ou du tutorat, au
cas où ces formes d’accompagnement auraient été retenues.
Notre observation montre qu’on ne saurait improviser dans l’urgence l’accueil dans un
établissement d’élèves intellectuellement précoces. A cet égard, l’élaboration d’un projet conçu
par un premier groupe de pilotage relève de la nécessité. De la même manière, l’adhésion des
professeurs ne peut que se faire sur le mode du volontariat. Aucun des professeurs entendus
n’a défendu l’idée de la constitution de pôles d’excellence. Les formules qui reviennent, et
elles ont tout leur sens, parlent de prise en compte des différences et des difficultés, de
besoins spécifiques et révèlent chez les professeurs rencontrés une adhésion motivée par un
désir de venir en aide à des élèves en difficulté. Ou ces élèves intellectuellement précoces sont
eux-mêmes en grande difficulté, ou leur profil et leur spécificité appellent un enseignement
adapté et constamment repensé : dans les deux cas, la réflexion didactique des professeurs ne
peut éluder la question capitale de la prise en compte des difficultés et des besoins
spécifiques.
Ce qui s’impose aussi, chez ces professeurs entendus, c’est la large part d’empirisme
qui a présidé à l’organisation des structures et des dispositifs. Très souvent l’auto-formation a
prévalu.. On rencontre peu de militants nourris d’une littérature savante en la matière, mais
des collègues qui, souvent sous l’impulsion d’un professeur ou d’un petit noyau, ont euxmêmes, sans beaucoup de secours ni de ressources extérieures, élaboré modestement les
premiers dispositifs. On regrettera, à cet égard, que requis par leurs élèves et leurs classes, ils
n’aient pas eu le temps de formaliser, dans des documents fussent-ils succincts, le cadre, le
fruit, l’esprit de leur expérience. On imagine difficilement, en effet, la multiplication de ces
structures sans s’appuyer sur des professeurs qui, dans des contextes variés, ont, depuis de
longues années déjà, travaillé dans ce domaine.
2.DES PRECONISATIONS
Forts de notre état des lieux, de nos lectures, de nos entretiens et de nos analyses nous nous
sentons autorisés à proposer des orientations pour inscrire réellement, concrètement et
durablement la scolarisation des enfants intellectuellement précoces dans le paysage scolaire
français.
Notre pays a du retard tant sur le plan scientifique de la connaissance du phénomène de
précocité intellectuelle que sur le plan didactico-pédagogique dans la vie des établissements.
Il faut nous mettre à niveau et surmonter nos handicaps. Pour cela deux grands axes de
propositions ; tout d’abord inscrire la précocité intellectuelle dans la réalité des collèges et
enfin favoriser la recherche et la formation.
Un objectif de nature quantitatif doit être fixé. Une masse critique est à rechercher. Comment
peut-on se contenter de 240 places pour un potentiel de 70 000 élèves concernés ? Mais avant
de parler de généralisation du dispositif, donnons-nous un horizon à atteindre. Le réalisme en
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la matière nous assigne à parler d’un développement maîtrisé de la scolarisation des E.I.P dans
le second degré. Evitons et fuyons les effets d’annonce sans lendemain.
2.1 A l’échelon national.
Seule, dans un premier temps compte tenu du caractère sensible voire irrationnel du dossier,
la parole ministérielle est de nature à bousculer l’ordre établi et le statu-quo. Sans une
implication du ou des ministres demandant aux recteurs de se mobiliser, rien n’évoluera. La
résistance au changement l’emportera aisément. Sans un effort de présentation, d’explication,
de pédagogie, il est à craindre que des comportements conservateurs aussi bien dans le corps
enseignant qu’au niveau des personnels de direction et d’inspection freinent le mouvement.
L’institution et ses différents acteurs ne sont pas spontanément favorables aux E.I.P. Flotte
encore dans l’air le vieux parfum de parcours d’élites pour des élèves favorisés et privilégiés.
On entend encore trop souvent « Il y a d’autres priorités » , »le vrai problème c’est l’échec
scolaire » etc….
Une fois la décision ministérielle prise et annoncée, il nous semble évident que la DESCO
devienne, naturellement le maître d’œuvre de cette politique, assurant conseil, coordination et
suivi.
2.2 A l’échelon académique et départemental.
L’exemple lyonnais est à suivre. Nous proposons qu’à l’instar de ce qui pratique dans le Rhône
chaque académie crée sous l’autorité directe du recteur mais avec la participation active des
IA.DSDEN un mini réseau (minimum trois établissements) d’établissements volontaires pour
accueillir des E.I.P. Cette création ne peut se concevoir sans une réflexion conjointe avec
l’IUFM et/ou les universités implantées dans l’académie. Il nous semble raisonnable compte
tenu de nos observations de terrain de penser qu’entre le moment de l’annonce et
l’opérationnalité du dispositif, un délai d’un an soit accordé. Bien évidemment un groupe de
suivi et d’évaluation devra épauler les établissements volontaires.
Proposer un établissement pour EIP par département ne nous paraît pas une mesure sage. Il
serait à craindre un éparpillement des bonnes volontés et une insuffisance dans
l’accompagnement scientifique et pédagogique.
Les équipes volontaires devront être fortement soutenues et les pratiques confrontées.
L’information à fournir aux parents doit être décentralisée dans les rectorats ou inspections
d’académie.
2.3 A l’échelon de l’établissement.
Peu importent la taille de l’établissement et l’origine sociale des élèves. La fréquentation est
l’élément déterminant est l’intérêt pour le projet de la communauté éducative dans sa totalité.
Le conseil d’administration devra se prononcer. Souvenons-nous des refus initiaux dans nos
établissements pionniers. Le corps enseignant peut se partager. Le chef d’établissement devra
obligatoirement être moteur.
Le choix de la localisation de l’établissement n’est pas neutre en revanche. Un site central dans
l’académie et facile d’accès est indispensable. L’idée serait en effet de recruter les E.I.P à
l’échelle de l’académie sans obliger les élèves concernés à fréquenter un internat ou une
famille d’accueil.
En effet, outre les problèmes généraux et traditionnels suscités par le nombre insuffisant de
places en internat, l’avis unanime de nos interlocuteurs est de déconseiller l’internat pour ces
élèves fragiles psychologiquement et demandant une présence affective renforcée.
L’éloignement forcé des parents serait ressenti comme une erreur.
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Au regard des pratiques pédagogiques constatées et sans revenir dans le détail sur cet aspect
trois établissements nous paraissent pouvoir servir d’exemples ou de modèles à adapter ; ceux
de Joliot-Curie à BRON, La Hève à Sainte-Adresse et Fénelon à Lyon. En écrivant cela nous
n’établissons pas un classement, ni n’émettons un avis négatif sur le fonctionnement des deux
autres collèges visités Le Cèdre au Vésinet et Maurice Scève à Lyon.
Simplement les trois premiers cités ont des caractéristiques ou des histoires moins typées que
les deux autres.
Le Vésinet est d’une certaine manière victime et handicapé par son statut d’établissement
initiateur et son environnement socio-économique très privilégié.
Maurice Scève scolarise un trop faible nombre d’EIP et a limité son champ d’action et
d’expérimentation en n’accueillant que des EIP en grave échec scolaire.
2.4 A l’échelon des équipes pédagogiques
– L’élaboration d’un projet explicitant les structures pédagogiques retenues (nombre
de classes, durée du « cursus homogène », fonctionnement du tutorat, nature et
éventail des ateliers proposés) est une priorité absolue.
– Le choix (qui ne peut reposer que sur une adhésion personnelle) des professeurs
concernés doit être opéré dans le souci de constituer une équipe solidaire qui devra
cultiver réflexion commune et concertation.
– L’information et la formation des professeurs sont capitales et doivent dépasser le
seul stade du bénévolat – remarquable – des militants et des pionniers.
A ce titre, des rencontres avec des professeurs déjà engagés dans cette expérience
semblent s’imposer, des rencontres et des lieux d’échange s permettant
l’approfondissement et la formulation de la réflexion. A Lyon, le centre Michel
Delay, centre de recherches de l’IUFM fréquemment cité par les professeurs, est un
exemple qui pourrait être généralisé.
– Il serait temps, dans les cinq établissements observés, de rassembler dans un
document les grands moments, les grandes lignes, les choix structurels, didactiques
et pédagogiques qui ont précédé à l’expérience. Ce serait, à l’évidence, une source
précieuse si l’on veut que d’autres établissements en France s’intéressent à l’accueil
d’élèves intellectuellement précoces. Or, à ce jour, l’implication et l’investissement
des professeurs auprès de ces élèves ne leur ont pas laissé le temps de cette
explicitation et de cette mise en perspective. On dispose à présent d’un faisceau de
témoignages et d’expérimentations suffisamment riche pour envisager la réalisation
de pareils documents.
– L’action des équipes enseignantes doit être pensée dans un champ qui dépasse le
seul cadre des classes et des dispositifs parallèles. Elle est indissociable de
l’impulsion du chef d’établissement, elle est inséparable de la communauté
enseignante dans son entier (laquelle, les faits l’attestent, a parfois joué le rôle de
frein), elle ne peut se déployer que dans le cadre d’une relation apaisée avec les
familles – dont on déplore souvent la pression psychologique exercée sur les
enfants – et avec les partenaires extérieurs, nous pensons aux psychologues, s’ils
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ont à intervenir. Est-il impensable d’envisager que les enseignants aient leur mot à
dire dans la confection des textes destinés à identifier, et donc à recruter, les
enfants intellectuellement précoces, des textes dont un nombre non négligeable de
professeurs déplore aujourd’hui qu’ils soient trop connus et qu’ils aient perdu tout
caractère de surprise ? Si le champ de ces tests devait être élargi selon le souhait
des professeurs rencontrés, il serait pas choquant que des enseignants soient
associés à cette nouvelle élaboration.
En guise de post-scriptum
Trois idées en guise de post-scriptum pour continuer la réflexion et dépasser le strict cadre de
notre mission.
Le ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche et le ministre délégué à
l’enseignement scolaire nous ont demandé de tirer un bilan des expériences pédagogiques
menées dans des collèges publics ou privés sous contrat sur l’intégration des enfants dits
« intellectuellement précoces ».
A partir de ce bilan nous avons préconisé quelques pistes d’actions et recommandations que
nous avons souhaité le plus concrètes possible.
Mais, à nos yeux, le débat est loin d’être clos. Une amélioration sensible de la situation passe,
c’est une évidence, par des avancées matérielles et quantifiables, cela d’ailleurs ne veut pas
dire de nouveaux moyens mais une redistribution intelligente et équilibrée des ressources,
mais aussi par le maintien d’un débat sur la place des EIP dans l’institution scolaire.
– Premier thème de réflexion autour de l’idée de plus en régulièrement évoquée :  » L’école doit
être son propre recours »
Voilà bien un domaine où le statu-quo est dangereux, pénalisant et démotivant pour les élèves
concernés. Si l’école que nous aimons, dont nous défendons les valeurs n’offre pas de
solutions alternatives, différenciées, adaptées à tous les élèves, ce sont les principes même de
l’éducation tels qu’ils sont rédigés dans le code de l’éducation qui sont menacés. Ce beau
« droit à l’éducation » ne deviendra qu’un chiffon de papier.
– Deuxième méditation autour du thème de la souffrance. Lorsque nous avons commencé
notre enquête, nous avons lu de nombreux textes mentionnent un tiers d’EIP en situation
d’échec scolaire. Compte tenu du faible échantillon d’élèves que nous avons pu rencontrer
pour les raisons que l’on sait nous ne pouvons infirmer ou confirmer ce chiffre qui est souvent
brandi pour justifier un traitement de la précocité intellectuelle par les services et
établissements du ministère de l’éducation nationale.
Ce qui en revanche nous paraît évident c’est la souffrance de ces enfants, même quand les
résultats sont à la hauteur, voire très brillants.
Souffrance vis à vis des normes scolaires, des rythmes d’apprentissage.
Souffrance dans les relations avec les autres enfants, avec les adultes.
Une véritable souffrance face à la vie. Cette douleur psychologique ne peut être ignorée.
Et enfin, dernière interrogation avec l’intrusion du « discours psy  » dans l’école. Certes le
thème est à la mode. Un grand mensuel spécialisé dans les questions d’éducation ne vient-il
pas de consacrer très récemment un épais dossier à ce sujet « Psy : l’école sous influence ».
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Mais notre propos n’est pas de circonstance, il n’est pas là pour coller à l’actualité mais
pour tenter d’éclairer une tendance lourde qui se profile.
Selon nos interlocuteurs, tous les EIP scolarisés dans leur établissement sont suivis par des
psychologues ou des pédo-psychiatres. Les consultations médicales se multiplient. On
nous a même cité des courriers de médecins s’aventurant dans le domaine pédagogique
pour recommander par exemple un saut de classe.
Il y a une très forte demande de prise en charge des familles.
Quand une récente étude de l’INSERM déclare qu’un enfant sur huit souffre d’un trouble
mental les parents ne peuvent que se sentir conforter dans leur demande. Nous avons
pointé un risque de dérive « psychologisante ». Il ne s’agit pas de refuser ces apports mais
de se doter d’un minimum de culture scientifique et médicale pour que l’école trouve un
point d’équilibre et ne se laisse pas entraîner sur un terrain qui n’est pas le sien.
Christophe Degruelle Philippe Le Guillou